Une année d'articles sociologiques

Fortune d’une catégorie : la souffrance au travail chez les médecins du travail

Posted in Médecine, Travail by Stash of Code on 28 juin 2009

Salman S. (2008), « Fortune d’une catégorie : la souffrance au travail chez les médecins du travail« , Sociologie du Travail, vol. 50, n°1, pp. 31-47.

Par son ampleur inédite (plus de 100 000 victimes attendues entre 2005 et 2025-2030), le scandale de l’amiante a révélé une fois pour toutes la parfaite inefficacité du système de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dont la médecine du travail est l’un des piliers. Pour expliquer la défaillance cette médecine pourtant pensée à des fins prophylactiques, il est important de pointer à la base la contradiction inhérente au statut de professionnel de santé rémunéré par l’employeur dans un contexte où l’homme doit être adapté au travail plutôt que l’inverse : déclarer le salarié inapte, c’est le mettre au chômage ; le déclarer apte, c’est ignorer les risques auxquels il s’expose. Comment les médecins du travail ont-ils fait face à cette situation ?

Apprendre à se repérer dans un nouvel environnement peut prendre du temps, le risque étant de ne pas remarquer une fosse bien camouflée à vouloir avancer trop vite. Sociologiquement parlant, il importe de mettre au jour les clivages structurants entre les acteurs pour éviter de froisser les susceptibilités de ceux qu’on pourrait se figurer à tort comme solidaires. Ici, la littérature sociologique qui retrace l’histoire de milieux professionnels prend la valeur inestimable d’une carte rapportée par un explorateur ; elle permet de saisir ce qui se passe où l’on met les pieds.

L’article de Scarlett Salman relève de cet ordre, l’auteur nous permettant de mieux comprendre comment le milieu des médecins du travail se structure à travers le rapport qu’ils entretiennent à la thématique de la souffrance au travail. En déroulant l’histoire du succès de cette dernière, Scarlett Salman met effectivement au jour le rapport difficile que ces médecins peuvent entretenir à leur métier du fait de l’ambiguïté déjà pointée en introduction. Or cette ambiguïté se réalise dans un ensemble de contraintes qui contribuent à marginaliser la spécialité de ces praticiens, la moindre d’entre elles n’étant pas l’interdiction de prescrire. De fait, dans un univers ou le rapport à la médecine est placé sous le signe du curatif, quelle utilité un salarié peut-il prêter à un médecin qui délivre des conseils en lieu et place de médicaments ?

Parvenir tout de même à faire quelque chose du mal-être raconté par les salariés constitue donc une question de longue date dans le métier, qui se pose d’ailleurs avec d’autant plus d’acuité que la dangerosité physique du travail est tenue pour aller en diminuant. Dès lors, avancer l’idée que la souffrance psychologique puisse être abordée autrement que sous l’angle de l’insertion d’handicapés ne pouvait constituer qu’une véritable révolution. La thématique de la souffrance au travail engendrée par les dysfonctionnements de l’organisation réactualisée par Christophe Dejours est ainsi parvenue à faire son chemin.

Mais ce bel emballement va connaître des cahots, la volonté d’ancrer la souffrance au travail dans la médecine du travail se heurtant à celle visant plutôt à l’ancrer dans la psychologie du travail. Partant, Scarlett Salman révèle que la conception de la souffrance au travail portée par Christophe Dejours, de loin la plus médiatique, est loin de faire l’unanimité, non seulement chez ses laudateurs – en la matière, les choses sont allées jusqu’au schisme -, mais aussi chez tous ceux qu’elle pourrait sembler concerner, c’est-à-dire tous les médecins du travail.

On voit donc l’intelligence de la démarche qui part d’une thématique à la mode dans un milieu et qui refuse de la tenir pour acquise par tous. L’auteur tire le fil socio-historique pour remonter à la source, et ce faisant est conduit à constater des clivages, permettant au lecteur d’y voir plus clair dans un milieu qui pouvait a priori paraître uniforme.


Pour en savoir plus…

Stéphane Buzzi, Jean-Claude Devinck et Paul-André Rosenthal ont produit une brève et passionnante synthèse socio-historique sur la santé au travail de 1880 à 2006.

Pour se tenir plus à jour, la chronologie de l’évolution de la médecine du travail de la Société de Médecine du Travail de Midi-Pyrénées est incontournable…


La semaine prochaine, je commenterai…

Gollac M. (1997), « Des chiffres insensés ? Pourquoi et comment on donne un sens aux données statistiques« , Revue française de sociologie, vol. 28, n°1, pp. 5-36.

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